Chique de bétel et la laque des dents au Vietnam

Voyager au Vietnam, c’est rencontrer des gestes anciens qui structurent la vie sociale. Parmi eux, la chique de bétel (trau cau) – un mélange de feuille de bétel, noix d’arec et chaux – incarne l’hospitalité, la fidélité conjugale et le respect des aînés.

Le laquage des dents, bien que cette coutume ne soit plus pratiquée que par quelques ethnies minoritaires son âme vit toujours et demeure un souvenir inoubliable.

Cet article explique ce que sont la chique de bétel et le laquage des dents. Il  expose comment ils se préparent, ses origines et légendes, quand on les rencontre au Vietnam, leurs places aujourd’hui, et comment l’observer (voire goûter) avec délicatesse lors d’un voyage culturel.

Qu’est-ce que la chique de bétel ?

La chique de bétel est constituée d’une feuille de bétel qui enveloppe un morceau de noix d’arec avec une fine couche de chaux. On peut y ajouter du tabac ou des épices (écorce de cannelle, écorce de chay, écorce de quach). En mâchant, la salive devient rouge carmin, colorant les lèvres et les dents. Le mélange a des effets stimulants, comparables à ceux du tabac léger ou du café.

La chique de bétel avait autrefois une fonction hygiénique : elle servait à parfumer l’haleine et à renforcer la convivialité dans les conversations.

Au-delà de la fonction hygiénique, la chique de bétel est un langage social. On dirait “Offrir une chique, c’est ouvrir la conversation”, marquer l’estime, sceller une promesse. À l’instar du thé, elle “fait lien”.

Origines et légende de la chique de bétel

Un usage très ancien en Asie du Sud-Est

La mastication de bétel-arec est attestée depuis l’Antiquité dans de nombreuses sociétés d’Asie du Sud-Est et du monde austronésien. Au Vietnam, la tradition de mâcher le bétel remonte à plusieurs millénaires. Les fouilles archéologiques de la culture Dong Son (Thanh Hoa) ont révélé des dents humaines datées de 1 700 à 3 000 ans portant des traces rouges similaires à celles laissées par le jus d’arec, preuve que la pratique existait déjà. Elle a longtemps été un marqueur de civilité dans la campagne comme à la cour, accompagnée d’objets raffinés : boîtes à bétel gravées, ciseaux à arec, plateaux de présentation, crachoirs.

La légende vietnamienne de la chique de bétel

Un récit fondateur, omniprésent dans la culture populaire, explique la centralité du bétel dans la vie affective : deux frères très unis voient leur relation brisée par un malentendu amoureux autour de l’épouse de l’aîné. Le cadet, rongé de chagrin, meurt d’épuisement et devient un rocher de calcaire. L’aîné, éperdu, se transforme en palmier d’arec. L’épouse, en pleurs, se mue en liane de bétel qui enlace le tronc.

Réunis à jamais, pierre – arec – bétel figurent la fidélité, la fraternité et la confiance. Depuis, offrir la chique de bétel, c’est sceller un lien et donner sa parole ; le rouge carmin du jus symbolise joie, prospérité et vitalité – raisons pour lesquelles les mariages vietnamiens comportent toujours un plateau de bétel – arec.

L’art de préparer la chique de bétel

Préparer le bétel (tem trau) est un art délicat transmis de génération en génération, qui exige soin et esthétisme. Parmi les nombreuses variantes, deux formes sont les plus répandues :

La chique simple en forme traditionnelle

• On choisit une ou deux feuilles de bétel bien frais.
• On étale une fine couche de chaux (blanche ou rosée).
• On y dépose un morceau de noix d’arec, frais ou séché (dans ce cas, il est ramolli par trempage).
• La feuille est ensuite pliée en triangle net et compact, pratique et discret pour la consommation quotidienne.

La chique “ailes de phénix” (trau canh phuong)

• La feuille de bétel est soigneusement taillée en forme d’ailes et de queue de phénix, symbole de beauté et de noblesse.
• La noix d’arec sert de corps central.
• Replier la feuille en épousant la forme d’un phénix. Parfois, on ajoute une rose ou une fleur décorative pour embellir l’ensemble.

Cette forme sophistiquée est réservée aux occasions solennelles : mariages, cérémonies familiales, fêtes communautaires. Plus qu’une préparation, c’est une véritable œuvre d’art culinaire et rituelle, réalisée avec soin par les femmes du foyer.

Objets et accessoires liés à la chique de bétel

La pratique a donné naissance à tout un univers d’objets raffinés, considérés autrefois comme marqueurs de statut social :

• Coi trau : boîte ronde en bois laqué servant à conserver feuilles et noix.
• Au trau : récipient en métal, en forme de vase.
• Binh voi : pot à chaux placé dans l’espace d’accueil, avec sa chia voi (spatule) pour en prélever.
• Ong voi : tube à chaux portable, souvent accroché au xa tich, bijou traditionnel porté à la taille par les femmes du Nord.
• Ong nho : récipient destiné à recueillir le jus et le résidu de bétel, signe de raffinement dans les maisons aisées.
• Les personnes âgées, ayant des dents fragiles, utilisaient un coi gia trau (mortier métallique) ou une petite spatule en métal pour broyer finement la préparation avant de la consommer.

Le laquage des dents

Le noircissement des dents remonte à la période des Hùng, rois fondateurs de la nation vietnamienne. Au fil des millénaires, les dents noires chez les Vietnamiens se démocratisent puis se restreignent aux femmes. La pratique disparait en partie à partir de la colonisation pour quasiment s’éteindre dans les années 50.

Avec la chique de bétel, le laquage des dents est devenu une caractéristique du peuple vietnamien qui le démarque des autres communautés. Une denture noire et brillante représente un indispensable de beauté et de raffinement. Il permet de différencier les personnes qui l’arborent et c’est un rituel de passage à l’âge adulte pour filles et garçons.

Les Kinh, majorité vietnamienne, ne sont pas les seuls à l’avoir adoptée, des minorités ethniques le pratiquent. Dans les villages reculés du nord-ouest, les ethnies Muong, Lu et Lao recourent encore de nos jours au rituel du laquage des dents.

Pourquoi le laquage des dents ?

• C’est un critère de beauté pour les femmes.
• Le laquage protège des caries et de la mauvaise haleine.
• Un prestige social des gens de la noblesse et de la bourgeoisie, autrefois répandu dans le nord et le centre du Vietnam (Hué – ville impériale) et de nos jours et qui perdure encore chez les ethnies montagnardes du nord.
• La chique de bétel et le laquage des dents seraient liés : la décoloration des dents consécutive au mâchage du bétel serait dissimulée par le laquage noir et brillant. La chique entretiendrait la beauté de la laque.

Recette de la laque des dents de l’ethnie Lu

Il n’y a pas de manière exclusive de noircir les dents : chaque région, chaque ethnie, a sa recette. Elle sera fonction des ressources de la nature dont elle dispose. Le principe d’application du laquage des dents, préalablement décapées, demeure identique.

Avant tout, il convient de préparer les dents pendant 7 jours : les polir en utilisant des morceaux de cosse de coco et les strier avec du charbon de bois pour que la laque adhère.

Faire macérer de la gomme-laque dans du jus de citron pendant une semaine.

Le mélange obtenu sera étalé au doigt ou avec une paille chaque soir au coucher. Au bout d’une semaine, les dents prendront une teinte rouge-ambrée

Une couche de teinture sera alors nécessaire pour un beau laquage.

Cette teinture est composée de feuilles d’une plante sauvage (Phyllanthus reticulatus) mélangées à de la gomme-laque nhua canh kien (matière brute recueillie sur les arbres, issue de la sécrétion d’une cochenille) et chauffées jusqu’à la l’obtention d’un jus épais et noir. Ce jus, la laque, sera apposé sur les dents.

La finition brillance est alors pratiquée : on applique, en deux fois, une nouvelle pâte de végétaux pulvérisés. Puis, tout en frottant au doigt avec vigueur, on enduit les dents, de graisse de porc, elle assure une belle brillance.

La recette est renouvelée tous les mois si besoin.

Cette pratique qui perdure de nos jours chez les ethnies s’effectue dès l’âge de 15 ans.

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Laque des dents et chique de bétel : deux traditions liées

Jusqu’au début du XXᵉ siècle, les dents noires vernies étaient un idéal de beauté au Vietnam. On disait qu’une femme avec les dents noires vernies était digne, honnête et attachée aux traditions.

Obtenue grâce à une laque naturelle à base de résine (nhua canh kien) et de plantes tanniques, cette couleur noire brillante symbolisait la dignité, la fidélité et l’élégance féminine.

La pratique se liait étroitement à la chique de bétel, dont le jus rouge entretenait et renforçait la teinte sombre. Dans l’imaginaire populaire, l’image d’une femme avec dents noires et chique de bétel incarnait à la fois la beauté traditionnelle et l’hospitalité vietnamienne.

Avec l’influence occidentale et la modernisation, la pratique a disparu au milieu du XXᵉ siècle, mais il reste présent dans la mémoire collective, les musées, certaines reconstitutions culturelles et chez certaines ethnies montagnardes.

Quand rencontre-t-on le bétel au Vietnam ?

• Mariages et fiançailles : les plateaux de trau cau figurent parmi les présents incontournables lors des cérémonies traditionnelles. Ils symbolisent l’union durable et la bonne entente entre belles-familles.
• Culte des ancêtres & fêtes villageoises : sur les autels, le bétel apparaît aux côtés du thé, des fruits et des bâtonnets d’encens.
• Vie sociale : visites de courtoisie, pauses au champ, réunions de village ; la chique “ouvre” le dialogue et marque la politesse.
• Patrimoine & musées : boîtes à bétel, ciseaux, crachoirs et iconographie nuptiale sont exposés dans plusieurs musées d’ethnographie et maisons communales.

La chique de bétel aujourd’hui : déclin, transmission et patrimonialisation

L’urbanisation, l’école, la médecine préventive et les nouveaux loisirs ont entraîné un recul net de la mastication quotidienne, surtout chez les jeunes. La pratique demeure rarement dans les campagnes, notamment chez les aînées, les rituels (mariages, fêtes, culte des ancêtres) où sa charge symbolique reste forte, et le patrimoine : objets, récits, théâtre populaire, littérature de mœurs. La chique de bétel n’est pas un “folklore figé” ; c’est une clé de lecture de la société vietnamienne : hospitalité, importance de la parole donnée, respect des hiérarchies familiales.

Où intégrer cette rencontre dans un itinéraire au Vietnam ?

• Hanoi et villages du Delta du Fleuve Rouge : marchés matinaux, maisons communales, fêtes de printemps.
• Bac Ninh & campagnes du Nord : traditions villageoises, chants quan ho, symbolique du bétel dans la sociabilité.
• Huê et le Centre : culture cérémonielle, patrimoine matériel (boîtes à bétel, arts décoratifs).
• Nord Vietnam : chez les ethnies des montagnes, en circuit, en voyage immersif avec agence.

La chique de bétel et la laque des dents sont deux coutumes ancestrales qui témoignent de l’esthétique et des valeurs sociales du Vietnam traditionnel. L’une incarnait l’hospitalité et la promesse scellée entre les individus, l’autre reflétait la beauté et la dignité féminine. Même si ces pratiques ne font presque plus partie du quotidien moderne, elles demeurent un héritage culturel fort, présent dans les mariages, les cérémonies et le patrimoine matériel.

Comprendre ces gestes, c’est plonger dans une société où chaque détail – une feuille de bétel pliée, une dent laquée, une boîte à trầu soigneusement décorée – raconte une histoire de fidélité, de respect et de convivialité.

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